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LA MORT DE L’ENFANT

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 La porte d’entrée principale, accessible par un perron, portait des scellés sur la peinture écaillée, ainsi que les volets, au moins côté rue, qu’ils avaient pu voir en longeant la façade lépreuse. En outre une affichette prévenait des risques d’effondrement à l’intérieur : planchers et cloisons. Vraiment pas engageant pour squatter, pensa Thierry, habitué aux standards modernes. Ils firent le tour par derrière, sans trop de peine, en longeant un muret, puis tombèrent sur une petite porte qui donnait sur le jardin ou le dépotoir qui en tenait lieu. Là aussi, il y avait des scellés qu’ils entreprirent de décoller sans tout arracher. Hughes n’eut pas trop de mal ensuite à ouvrir l’huis qui bailla dans un grincement. Il ne restait plus dès lors qu’à entreprendre une prospection hasardeuse et ils étaient bien obligés d’employer leurs torches pour la faire.
 Manque de bol, ils se heurtèrent tout de suite à un obstacle de taille : toute une pyramide de parpaings qui allait jusqu’au toit et barrait complètement l’accès au reste la maison, hormis une brèche en haut de cet édifice, entre des amas effondrés du plafond qui laissaient voir les combles ; mais avant il y avait un réseau de poteaux qui étaient indiqués pour soutenir le toit de la maison : de quoi en faire reculer plus d’un ! … Encore fallait-il mettre le nez dessus les plastiques jaunes qui portaient cet avertissement, tant l’humidité avait dégradé les inscriptions… « Mais qu’est-ce donc, ce tabernacle ! » s’exclama Thierry.
 « C’est vrai qu’elle aurait dû être rasée depuis longtemps, cette bicoque… » songea en silence, Hughes. Renfrogné, il étudia la question d’une escalade, sans plus détourner le regard ni répondre à son compagnon. Regardant vers le haut, il heurta par inadvertance la base d’un poteau et il se produisit une chute de bois, les épargnant de justesse ; mais dans la nuit, elle fit un boucan d’enfer. L’endroit était vraiment dangereux. Reculer maintenant ou aller de l’avant ? Hughes décida alors de grimper tout de suite, sans plus évaluer les risques. Pas rassuré du tout, Thierry l’imita, confirmant ainsi la tradition familiale d’aller jusqu’au bout de l’intention.

 Un vieil homme qui regardait la lune, au sens propre et au sens figuré, dans sa cage, avait vu nos deux explorateurs faire le tour de la bicoque de NSS. Il habitait presque en face de cette maison sinistre qui meublait le « parterre » au bas de son immeuble, dans le halo des réverbères, et il n’avait jamais vu personne y rentrer depuis le passage d’une équipe de chantier, quelques années auparavant, sans doute pour y réparer quelque dégât. Intrigué, vu l’heure tardive, il bougonna à l’adresse de sa femme pas trop loin :
  - Je viens de voir deux zigues qui faisaient le tour en vitesse de la maison fermée, près du croisement avec la rue du 14 juillet… Des fois qu’il s’agirait encore de ces « piqués » qui branlent la mule dans les courants d’air, on ferait bien d’y faire attention…
Quand il vit apparaître des fumées, au milieu du toit qui semblait s’effondrer, il se leva de son siège comme un ressort, malgré son âge, ça lui rappelait quelques images sordides, vues à la télé…
  - Germaine, appelle la police, ils sont en train de démolir la baraque, et j’pense pas qu’ils aient les autorisations pour ça, on n’est pas à Beyrouth quand même !
  - Qu’est-ce t’as vu ?
  - Le toit qui s’effondre…
Et il montra le trou avec sa petite coiffe en suspension, bien distincte grâce à la clarté diffuse de l’éclairage public.

 Arrivés en haut du tas de parpaings, sans trop peiner, Hughes et Thierry virent par la brèche, une sorte de corridor en contrebas, avec des pièces fermées du côté avenue, et au bout ce qui semblait le palier d’un escalier…parce que les torches n’éclairaient pas assez fort pour en être sûr.
  - Faut aller voir… Sinon on aura fait tout ça pour rien.
  - J’espère qu’il n’y a pas un con qui va croire au désastre, après le bordel qu’on a fait.
  - On verra bien. Au moins je veux voir ce qu’il y a dedans avant…
Les deux hommes se glissèrent, non sans précaution, jusqu’au corridor, et entreprirent de progresser jusqu’à l’escalier supposé, tâtant à chaque pas leurs appuis, tant ils se méfiaient du bâti. C’était bien le palier d’un escalier, mais après plus rien : ni rampe ni marches, la volée avait disparu…et en bas, c’était la nef ! Il n’y avait rien qui rappela un appartement hormis des traces de cloisons sur les murs portants, nus, et au milieu, ils apercevaient une sorte de tumulus. Le balai des torches projetait des ombres dantesques…
 Un frisson glacé hérissa les poils de Thierry.
  - Nom de Dieu ! Mais c’est plus une maison ! …
  - C’en est plus une en tout cas.
  - C’est pas possible qu’il…
  - Reste en haut si tu veux, je vais voir ça de près…
  - Non ! je vais avec toi.
Il n’avait aucune envie de rester tout seul, même s’il envisageait une réalité horrible qui l’anéantissait.
 Hughes n’avait rien qu’un pied de biche pour gratter, mais il toucha rapidement du métal, ils dégagèrent, y mettant les mains, un pan du toit d’une automobile, cabossé. Le mouvement de Hughes se fit plus frénétique et une vitre encore intacte apparut, ils enlevèrent assez de terre pour voir à travers, et au fond ils découvrirent un tas désagrégé d’où ressortait un membre de squelette… Le choc fut trop violent, Thierry suffoqua et perdit connaissance.

-°-°-°-°-°-

 Quand Thierry revint à lui, il y avait beaucoup de bruits et de lumières autour de lui. Hughes était assis à côté, prostré, il avait des menottes aux poignets.
 NSS avait été prévenu et il avait accouru immédiatement, en pleine nuit qui plus est, chose étrange, lui qui aimait tant faire attendre les autres et s’en payer souvent le luxe. Le magnat tournait comme une guêpe, malgré sa bedaine, en ironisant et montrant les deux hommes à terre, pas loin de leur excavation…
  - Ils ont bonne mine, ces deux-là, maintenant, à jouer les taupes de minuit, dans la propriété des autres…
Les flics ne pipaient mot mais ils regardaient salement et pas que les visiteurs du soir… Le magnat continuait à éructer, feignant l’indignation, les traits aiguisés de mépris qui cachaient mal son inquiétude. Dame ! c’est qu’il avait quelques explications à fournir, lui-aussi, et peut-être bien que tous ses milliards n’y suffiraient pas à défendre sa vertu… Qu’à cela ne tienne ! Hughes en eu marre du quidam qui s’époumonait dans son rôle d’outragé, il se redressa lentement, se leva, et personne ne chercha à le retenir, on aurait dit même que certains n’attendaient que ça…
  - J’ai l’impression que tu vas avoir des plus sérieux ennuis que nous, espèce de goret ! Qui c’est qu’est là, hein ?
Et il montra le tumulus chamboulé.
  - Quand tu auras répondu à ça, tu pourras nous dire pour qui tu te prends, espèce de croque-mort et salopard ! Faire la morale après les messes noires, non mais ! Et puis quoi encore ? Tu as caché la mort de l’enfant et cela a rendu folle, sa mère, ma fille et ta bru par la même occasion, enfer et damnation ! Mais maintenant, faudra bien que tu nous dises de quoi elle est morte, et pourquoi tu l’as mise dans un tas de ferraille, enterrée dans une bicoque démolie, à l’insu de tous. Ce n’était quand même pas Gengis Khān, notre petite Lydie ! Parce que c’est bien elle ou ce qu’il en reste, hein ? Cela pue drôlement ton histoire, capitaliste de mes deux ! …

 Plus tard on a su bien des choses ; d’abord parce que NSS s’était effondré ; mais aussi parce que d’autres encore se mirent à table… Décidément cette histoire, elle avait pesé… Et c’était bien Lydie et ce qu’il en restait, qui était rentrée dans cette maison avec sa voiture qui n’en était jamais ressortie… L’accident avait eu lieu une nuit épouvantable de tempête, et tout le monde avait cru par la suite que le commerce du rez-de-chaussée avait été fermé suite à un sinistre naturel ; mais elle était morte dedans, Lydie. Sa mère Adeline (mère de Thierry aussi donc) qui n’en savait rien, dans le chagrin de la disparition inexpliquée et inexplicable de sa fille, était devenue la proie d’une secte, du genre qui fait construire des temples dans la jungle. Oui, certes, ce fut quand même elle qui embaucha, la prenant sous son aile, mine de rien, le « super coup » à Thierry aux Caraïbes, Nathalie, qui, incidemment, faisait partie de la même secte qu’elle ; aidant ainsi l’actrice et coreligionnaire à échapper à des admirateurs-express, trop empressés, qui d’ailleurs bouffaient au même râtelier que la dite secte…
 Bon ! bien sûr ! Tout cela s’est su dans le temps, petit à petit, et si NSS était bien un salopard de première qui en prenait à son aise avec les lois et coutumes, etc. ; oui, bon ! là aussi, il fallait y regarder de plus près… Il arrosait pas mal les siens, sans le faire savoir et souvent, ménageant ce qu’il pouvait… Même qu’Adeline lui était redevable de son bon rétablissement, là-bas, dans les îles…





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