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photo de Quéribus, château cathare



FEUILLE D’AFRIQUE

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          Après une petite exploration dans la forêt où ils rencontrèrent plus d’hôtes que de bêtes sauvages et qui leur fut profitable, cela grâce aux conseils éclairés de Gasandji et même de quelques unes de ses connaissances, ils retrouvèrent une pensée pour le monde « civilisé » d’où ils venaient, quitté il y avait peu, qui, ici, passait encore pour un pays puissant, riche autant qu’inaccessible, mais toujours prêt à envoyer ses emmerdeurs sans parler du comique troupier…
          Ils téléphonèrent ainsi à leur mère qui était une sorte de dinosaure écolo, rescapée des communautés soixante-huitardes retournées à la terre, elle-même reconvertie dans l’économie sociale et solidaire. Ils en vinrent à lui parler autant de leurs projets que de l’existant, à commencer par l’environnement nouveau et les rencontres. Le père Blanchet intéressa au plus haut point la mère, pas qu’elle le connaissait personnellement, mais elle avait déjà entendu parlé de lui. Il passait même pour donner de bons tuyaux aux responsables d’une entreprise de commerce équitable avec laquelle elle était en relation.

          La mère de Fabien et Elodie avait le sens des affaires, avec pour corollaire celui de l’improvisation, autant que l’esprit de famille, et, bien qu’un peu dépitée de ne pas avoir été mise dans la confidence par ses enfants auparavant, elle décida de les rejoindre pour essayer de faire fructifier leurs idées ; à commencer par étudier les conditions d’une exploitation commerciale de cette plante peu commune, même à petite échelle, si elle pouvait intéresser, en Occident s’entend. Cela commençait par vérifier les possibilités d’une récolte organisée et soutenable, et mieux, d’une culture spécifique par la suite ; et donc ; les avis d’un botaniste, qui plus est spécialiste du cru, ne seraient pas inutiles…

          Quand débarqua, Irène, la mère d’Elodie et Fabien, il faisait jour depuis peu et l’atmosphère était encore toute humide sur le petit aéroport, enfoncé dans la jungle. Mais ses enfants étaient là, ravis, et ils affichaient un soleil éclatant sur leur visage. Laisser en plan ses activités et faire tout ce chemin, aussi vite, pour venir se rendre compte par elle-même de la situation, était plus qu’une preuve d’affection, c’était aussi le signe d’un intérêt professionnel, certain, et ils le percevaient très bien. Rien que ça renforcer leur optimisme et leur énergie. D’ailleurs ils n’avaient pas vraiment appelé pour obtenir son aide ni pour la faire venir à la rescousse comme une mère poule trop soucieuse, mais pour avoir son avis, détaché du lieu et des circonstances. Comme on dit, quelqu’un d’averti en vaut deux…

          Irène s’en alla rejoindre Gasandji à la cuisine. Toutes les deux étaient en harmonie et ce, quasiment dès le premier instant de leur rencontre. Une brassée de la plante magique bouillait dans la marmite. La petite Elikya tournait autour et sa mère avait bien de la peine à l’empêcher de s’approcher trop près. C’est vrai que l’odeur qui s’en dégageait, était bonne, et quelque part rentrait dans les paramètres de son origine… Il est ainsi pour la plupart des êtres vivants, en plus de l’ADN, des données sont préinscrites sur la carte d’existence. Après selon le cours et le karma, elles prennent de l’importance ou pas, mais elles ne sont jamais anodines. Irène voulait tester, en toute logique, les propriétés médicinales de la plante et approfondir l’usage qui pouvait en être fait, susceptible d’être apprécié en Europe, et en particulier de rentrer dans la pharmacopée des médecines alternatives. Gasandji lui avait simplement dit à ce sujet que la décoction calmait des douleurs au ventre, même après l’ingestion de mauvaise nourriture, et qu’une pâte de ses feuilles relevait aussi bien les viandes en cuisine qu’elle tenait, éloignés des chairs vivantes, les insectes, y compris les suceurs de sang. C’était quand même un début intéressant !

*

          Entre Irène et le père Blanchet, ça n’allait pas mal non plus. Ils avaient même sympathisé rapidement, vu le positionnement d’Irène qui était une vieille résistante écolo à la « Société de Con-sommation », bête et méchante, qui hypothéquait jusqu’à l’avenir sur Terre. Le père Blanchet, Maurice de son prénom, était un tendre, une fois qu’on avait passé le barrage de ses airs rébarbatifs, et sa causticité n’avait rien de misanthrope, bien au contraire, elle dénotait une forme de politesse pour recouvrir ses doutes et ses propres failles d’insatisfait ; impuissant qu’il était à faire avancer ses idées, larges et généreuses, dans un monde aux vues étriquées, et cela autrement que par une sorte de fuite en avant un peu désespérée ; et ; il y aurait eu bien à dire là-dessus… Donc, se rejoignant sur les grandes lignes, ils n’avaient pas eu de peine à se faire des confidences.
          Irène finit par se jeter à l’eau, après s’être jetée dans les réflexions d’après cuisine, et lui proposa d’être son correspondant officiel ici, en charge de développer un réseau de liens avec des producteurs locaux pour étoffer son catalogue de vente en métropole, et notamment de veiller au partenariat qu’elle comptait  monter avec ses enfants sur place, dans la région des grands lacs.  De ce fait, elle l’invita à rentrer avec elle, ne serait-ce que pour un cours séjour au pays natal ; afin de juger par lui-même de l’intérêt de son entreprise de produits bio. en E.S.S. qui avait un peu plus de buts que de faire du profit ; ce qui l’aiderait peut-être à faire son choix.

          En définitive, Maurice Blanchet ne mit pas longtemps à se décider. La proposition d’Irène lui rappelait fort à propos qu’il possédait une propriété familiale au pays natal, fruit d’un héritage, et qu’il serait sans doute bien d’y regarder de plus près, joignant l’utile à l’agréable, puisqu’il l’avait plutôt négligée jusqu’à ce jour, la laissant aux bons soins d’un cousin du voisinage qui exploitait les terres attenantes. En plus cette propriété n’était guère plus éloignée de cinquante kilomètres du lieu où Irène exerçait son activité ; donc pas de problème d’hébergement à prévoir ; et ; il comptait en profiter pour amener avec lui, sa petite famille africaine : Gasandji et Elikya, qui découvrirait le pays des origines du « grand-père blanc » !

          Cela n’avait pas été sans mal, mais ils étaient tous réunis pour faire le point. Bien qu’il eut adopté Elikya officiellement au consulat et déclaré Gasandji pour être sa compagne, des jean-foutre leur avaient mis tant de bâtons dans les roues, sous prétexte de visas, que le petit clan africain avait débarqué avec deux mois de retard sur le calendrier prévu ; du coup Elodie et Fabien les avaient suivis de près.
Autour d’une table et derrière un double whisky bien tassé et avancé en âge, Maurice se laissa aller à son indignation, absolument pas feinte, et il prit à témoin les siens, ses invités et même partenaires :
     - Ah ! je vous le dis, les imbéciles malheureux qui ont mis ce sagouin à la tête de l’Etat, doivent aimer leurs chaînes ou alors ils ont dû bien cauchemarder avant, quelle nuit ! Ce type n’a aucun projet, aucune intention de grandeur pour ce pays hormis de servir l’empire du fric ! Sa tactique n’a consisté qu’en la conquête du pouvoir qu’il brandit par jeu maintenant, comme un caprice d’enfance assouvi. Tout ça pour se croire riche alors qu’il n’est qu’un pauvre d’esprit, n’étant qu’un trou d’air et encore, je suis poli ! Avec son clan, c’est la haine, la division, l’inculture qui triomphent, tout le contraire qui sied à une grande nation. l’Histoire jugera… Mais beaucoup vivront mal. Autant prendre son plaisir avant et où l’on peut : buvons un coup à la descente aux enfers de ces minables, ce qui ne saurait tarder, tellement ils brûlent les étapes, chienlit !
Et ils trinquèrent, levant leur verre dans la lumière tamisée, dans un salon qui n’avait pas vu une telle tirade et une telle affluence depuis longtemps.

*

          Un vent léger se mit à courir sur la plaine surchauffée, Irène passa un bras sous son épaule et il sourit, l’œil en coin. Ils marchaient depuis quelque temps dans ce jour radieux, sur un sentier qui serpentait au pied des collines, passant sous un éperon rocheux où trônait un nid d’aigle : les vestiges d’un château cathare.
     - Dis-moi ! Ils s’en sortent bien, les petits maintenant…
     - Oh ! oui, Maurice. Je les ai bien éduqués, vois-tu ! Ils savent se débrouiller pour peu qu’on leur donne une chance. C’est comme tous ces jeunes de maintenant, qu’on sacrifie, dans cette époque de fous, alors que la majorité d’entre eux aimeraient qu’on leur donne au moins une chance de bien faire… C’en est même pitié, tout ce gâchis !
     - Oh ! ma foi ! eux, en tout cas, ils l’ont prise leur chance. Nous irons demain réceptionner le premier arrivage. Et si tout va bien comme tu veux, je m’en retournerai bientôt là-bas pour faire un peu de coopération… Gasandji est déjà toute frétillante à l’idée de repartir au pays, Elikya, moins, les enfants sont toujours plus curieux de découvrir et elle est très éveillée. Mais nous reviendrons vite, qu’en dis-tu ?
     - Tu sais bien que tu seras toujours le bienvenu…
     - Quelle chance, j’ai, de me sentir bien entre deux mondes maintenant, c’est pas donné à tout le monde justement…
Et ils continuèrent sur le sentier de la Vie, bras dessus, bras dessous, sous le regard minéral de pierres altières et séculaires, couvés par des oiseaux qui chantaient très haut… un hymne immortel !


© Jean-Jacques REY, 2012
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