retour vers sommaire
bas de page



recueil fictif de dépêches d'actualité

globe terre vert et bleu, symbole pour l'écologie



version PDF de 13 milliards tonnes CO2

TREIZE MILLIARDS DE TONNES DE CO2




    « Honorables membres de l'Assemblée Environnementale Mondiale et représentants des gouvernements reconnus, ainsi que vous tous, femmes et hommes de la Terre qui les avez régulièrement élus, c'est la fierté de mon mandat d'avoir vu le but vers lequel nous tendions depuis la fondation de notre vénérable institution: en l'an de grâce 2083, les émissions de dioxyde de carbone ont baissé jusqu'à treize milliards de tonnes. C'est la quantité que la nature peut neutraliser par an et c'est le chiffre que nous devons maintenir pour régénérer l'écologie de notre planète si malmenée par des décennies d'irresponsabilité et d'insouciance criminelles. Je rends hommage à l'Amérique du Nord, au Condominium Australasien, aux Empires Iranien, Japonais et Russe, à l'Euroland, dont les populations ont consenti à de lourds sacrifices.

    Ce n'est pourtant que le premier pas en avant dans la longue marche au terme de laquelle notre planète retrouvera son état écologique de la fin du XXe siècle. Tout en déplorant son dépeuplement et l'extension de ses déserts, louons l'Afrique, redevenue réserve végétale, d'absorber toujours plus de dioxyde de carbone et d'avoir ramené presque à néant sa consommation d'énergie et de matières premières. Cela ne suffira pas: l'atmosphère demeure saturée des gaz à effet de serre émis pendant les précédentes décennies. Ils contribuent encore au réchauffement climatique  et à la montée des eaux. Nous ne désespérons pas de convaincre l'Union Sud-Américaine de reconstituer ses forêts vierges au lieu de développer ses cultures de bio-carburants. Nous étudions les justes compensations économiques à lui apporter.

    Nous vivons tous sur la même planète et en sommes solidaires. La Terre est inhospitalière sur de vastes étendues émergées. Elle doit demeurer habitable là où nous vivons. Elle doit le redevenir ailleurs pour nos enfants. Chaque nation est moralement tenue de concourir à la renaissance commune au lieu de se reposer sur les efforts des autres. L'épuisement proche des carburants fossiles n'est qu'en partie compensé par les énergies renouvelables, ce qui n'enlève rien à notre salutaire entreprise. Seuls six réacteurs à fusion nucléaire fonctionnent, dont un sur la Lune. Si son rendement est extraordinaire, cette nouvelle technologie est délicate à installer et à exploiter. Notre Assemblée finance la construction de onze centrales et en prévoit cent trente pour alimenter toute la Terre d'ici à la fin du siècle.

    Que cela ne nous empêche pas de poursuivre chez nous le programme de reforestation mondial. Il ne suffit pas de faire verdir le sol libéré par le reflux des glaces du nord de l' Europe, de la Russie et de l'Amérique. À l'exception des enclaves minières et industrielles, la Nouvelle-Guinée sera bientôt rendue à sa flore et à sa faune primitives. Elle reprendra son rôle de dispensatrice d'oxygène et de diversité biologique pour le bonheur de notre chère planète... »

Gudmundur Fridþjófsson,
Président de l'Assemblée Environnementale Mondiale
(Discours Annuel sur l'État de la Terre),
Melbourne, Condominium Australasien, 31 janvier 2084.


    « La Hollande a acquis pour un montant non divulgué les terrils charbonniers du nord de la France. L'Assemblée Environnementale Mondiale lui a accordé une dérogation pour la dépense d'énergie supplémentaire correspondant au transport des déchets. Les premiers camions destinés à les charger ont été caillassés par des descendants d'anciens mineurs. Ceux-ci brandissaient des banderoles où s'exprimait leur colère de voir leur ancien patrimoine culturel sacrifié au renforcement des digues et des polders menacés par la Mer du Nord. Les unités anti-émeute eurolandaises ont dispersé les manifestations. Le gouvernement français a annoncé la préservation de trois terrils pour l'édification des générations futures. La Wallonie hésiterait entre la Flandre et la Hollande pour vendre les siens. »

Euronet-Krant,
La Haye, Euroland, 4 mars 2084.


    « Un croiseur de la Milice Environnementale a arraisonné au large  de l'île de Tana (Vanuatu) un vaisseau de pêche philippin aux cales pleines d'ailerons de requins et de raies mantes. Cette spécialité gastronomique,  prélevée dans des conditions criminelles consistant à rejeter à la mer le reste de la viande, avait périclité avec la guerre civile chinoise et était interdite depuis le traité de Yokohama en 2031. Des rumeurs couraient qu'elle perdurait dans les arrière-salles des restaurants de la diaspora chinoise du Pacifique sud, mais, jusque là, l'existence de filières d'exportation n'avait été prouvée qu'à partir de rares fermes piscicoles. Le tribunal militaire qui siège sur place a déjà saisi le navire. Le capitaine et le propriétaire risquent la pendaison pour piraterie environnementale. »

Communiqué de l'agence de presse Bintang,
Jakarta, Condominium Australasien, 8 mars 2084.


    « Une cinquantaine de Dayaks, surtout des vieillards, des femmes et des enfants, s'est présentée devant le poste de contrôle de l'enclave de Brunei. Ils se prétendent survivants d'une guerre au terme de laquelle leur tribu a été vaincue et craignent d'être dévorés par l'ennemi. Rappelons que, en tant qu'adhérent au programme de reforestation mondial, l'Empire Japonais n'est pas tenu d'accorder asile aux populations d'une réserve végétale, même relevant de son autorité. Dans les rares cas où il a accepté, la stérilisation a été imposée aux réfugiés. Sa seule obligation est de conserver le reste  de  l'île  de  Kalimantan  (Bornéo)  dans son présent état d'absorbeur de CO2. Les autorités locales n'ont cependant pas attendu la décision de Tokyo pour soigner et nourrir les réfugiés, vu leur extrême dénuement.»

Suratkhabar Ibu Negeri,
Enclave Japonaise de Brunei, 11 mars 2084.


    « Les luxueuses résidences du littoral de l'ex-émirat de Dubaï viennent enfin de trouver preneur: une entreprise de travaux publics d'Oman. Jadis propriétés des grandes fortunes de toute la planète, elles s'étaient mises à péricliter avec la crise économique de 2008, avant d'être évacuées. Depuis la montée des eaux, elles étaient recouvertes à chaque marée et tombaient en ruines. Les premières péniches équipées d'engins de démolition sont déjà sur place. Une fois broyé, le béton serait recyclé pour la reconstruction des villes des anciennes monarchies pétrolières de la péninsule arabique annexée après l'expansion iranienne. Le même sort semble promis à la capitale proche dont les hautes tours, délaissées depuis des décennies, menacent ruine. Elle ne sert plus que de halte aux tribus bédouines itinérantes. »

Al Macbarath,
Sanaa, Protectorat Iranien du Yémen, 15 mars 2084.


    « Après les conséquences du réchauffement climatique en Amérique du Nord et en Sibérie, voyons le cas des glaciers himalayens qui reculèrent plus vite qu'ils se reconstituèrent. Contrairement à la fonte toujours en cours de ceux du Groenland, leur quasi-disparition ne causa qu'une montée négligeable des mers. Par contre, au niveau régional, le déficit hydrique  croissant se révéla irréparable.

    L'Himalaya était au XXe siècle le centre d'un réseau hydrographique qui irriguait abondamment le Pakistan, l'Inde, le Bangladesh, la Birmanie, la Thaïlande, la Chine, les états constituant l'Indochine et quelques autres. Aucune de ces entités politiques ne survécut à son assèchement. Bien que celui-ci s'étalât sur près de quatre décennies, les gouvernements furent vite débordés par  son ampleur .

    La plupart de ces états étaient déjà fragiles et ne tenaient que par des régimes coercitifs. Tous étaient travaillés par des forces centrifuges dues à des minorités agitées. Des inégalités sociales criantes opposaient des masses misérables et surexploitées à une ploutocratie corrompue et insolente. La récession mondiale des premières décennies du XXIe siècle accentua tous les problèmes.

    La défection himalayenne causa d'abord des famines et des migrations intérieures disproportionnées. Le Pakistan sombra dans l'anarchie avant d'être dévasté et dépecé par l'Empire Iranien. Le Bangladesh, déjà entamé par la montée des eaux, tenta de déborder sur l'Union Indienne qui massacra ses réfugiés avant de faire face à la sécession des régions dravidiennes, puis à l'éclatement de celles du nord.

    Déjà affectée au nord par la sécheresse et l'avancée du désert, la Chine subit de gigantesques migrations et, bloquée par la Russie, tenta de les détourner vers ses voisins du sud. En plus, les Mongols, les Mandchous, les Tibétains et les Ouigours du Xinjiang se soulevèrent, chassant ou tuant les Hans. Toutes ses grandes villes furent dévastées.
C'est le domaine de centaines de seigneurs de guerre.

    Aujourd'hui, aucun des micro-états du quart sud-est de l'Asie n'est reconnu et représenté à l'Assemblée Environnementale Mondiale. Dépeuplés, désertifiés, pollués, en conflits permanents entre eux, ravagés par les épidémies, les pénuries et les dérèglements de la nature, revenus au XIXe siècle, voire aux âges féodaux, ils sont isolés du reste du monde par crainte de la surpopulation et de la contamination.

    Au début du siècle, la Chine et l'Inde prétendaient rattraper les pays riches. Les ressources du globe n'y auraient pas suffi. Le niveau de vie des uns aurait dû baisser pour que s'élevât celui des autres. Ou la guerre jouer son rôle régulateur. L'anarchie du sud-est asiatique fut donc providentielle, ainsi que celle de l'Afrique, dont les anciens colonisateurs ne rentabilisent plus que des enclaves minières et industrielles... »

« Histoire Climatique du XXIe Siècle » de Normand Tremblay,
chapitre VI,  Presses d'Ottawa, Laurentie, dépôt légal: avril 2084.


    « Les Nouvelles Brigades de la Vengeance Prolétarienne ont revendiqué la violente explosion qui a détruit le célèbre complexe résidentiel fermé Bluesky dans la banlieue de Roseburg (Oregon). Il était réservé aux anciens cadres supérieurs retraités de Monsanto. 123 ont été tués et 61 blessés, en plus des 223 tués et 131 blessés du personnel (chiffres provisoires). Rappelons que cette transnationale avait été dissoute en 2051 par l'Assemblée Environnementale Mondiale pour atteintes graves à l'écologie et à la biodiversité planétaires. Le décret ne prévoyait aucune réparation, ne touchait ni les actionnaires ni les dirigeants ni leurs capitaux ni leurs biens meubles et immeubles ; les simples employés avaient été licenciés sans prime du jour au lendemain, d'où le saccage mémorable de nombreux bureaux et installations. »

Westcoastnetnews,
Los Angeles, Confédération du Pacifique Nord, 19 avril 2084.


    « Un conteneur d'hélium 3 provenant de la Lune a explosé au-dessus des ruines de Mexico peu après son entrée dans l'atmosphère. Cette perte énorme pour les riches  sera décomptée aux pauvres dont les droits et les revenus sont rognés depuis près d'un siècle. Tout comme le coût exorbitant de la station de Tycho qui récolte et raffine le régolite lunaire où le mirifique isotope n'est présent qu'en quantités infinitésimales.

    Les centrales à fusion nucléaire consommant l'hélium 3 reviennent plus cher que les énergies renouvelables. l'Assemblée soi-disant Environnementale et Mondiale qui les a imposées au monde dit civilisé est le théâtre de marionnettes dont les transnationales tirent les ficelles. C'est tout ce qu'elles ont trouvé pour remplacer les carburants fossiles qu'elles nous vendaient et avec lesquels elles polluaient la Terre. »

Message numérique pirate du Collectif Environnementaliste Mondial,
Porto Alegre, Confédération Sud-Américaine, 28 avril 2084.


    « Un super-tanker pétrolier converti en cargo et incroyablement délabré attend depuis trois jours devant l'enclave afrikaner de Cape Town. Le capitaine a demandé à bénéficier des facilités portuaires pour réparer tout en prétendant que son armateur ne pouvait couvrir les frais du mouillage. Il dit venir de Colombo et se diriger vers Belém. Il convoie de la ferraille récupérée dans les villes en ruine des côtes indiennes. Devant le refus de la capitainerie, il a menacé de couler son épave dans le port. Comme la cargaison est susceptible d'être contaminée, les autorités locales hésitent. Le gouvernement brésilien ne veut pas se porter garant et menace d'envoyer sa marine de guerre. Ni le Brésil ni le Sri Lanka ne reconnaissant l'Assemblée Environnementale Mondiale, ses directives leur sont difficilement opposables. »

Communiqué de l'agence de presse Eddy  van Keer,
Enclave Eurolandaise de Cape Town, 1er mai 2084.


« Mes chers concitoyens.
Les négociations avec l'Assemblée Environnementale Mondiale sont rompues. En accord avec les autres gouvernements de l'Union Sud-Américaine, j'ai refusé ses propositions indécentes. Notre fière nation ne sacrifiera pas son autonomie énergétique. Reconstituer les forêts vierges, c'est peut-être utile pour abaisser le taux de dioxyde de carbone, mais accepter en échange les centrales à fusion, c'est nous livrer pieds et poings liés aux détenteurs d'une technologie que nous ne maîtrisons pas. L'étranger nous étrangle déjà en n'acceptant que les produits qui ne concurrencent pas les siens et en surtaxant les autres. La proposition d'une ouverture totale des marchés ruinerait notre économie déjà trop fragilisée. Enfin, l'imposition à notre peuple d'une  réduction démographique briderait sa jeunesse et son dynamisme.

    L'émissaire de l'Assemblée Environnementale Mondiale prétend que depuis le début du siècle le luxe n'est plus de mise. À cette époque, le Brésil partageait le rang de puissance émergente avec l'Inde et la Chine et ne désirait comme elles qu'un peu plus de bien-être. Voyez leur sort. Les pays privilégiés n'ont rien fait pour les aider. Au contraire, ils y ont attisé les séparatismes et les ont entourées d'un cordon sanitaire. L'élimination de concurrents les arrangeait trop. Puis est venu le tour de l'Afrique, nouveau continent perdu. Pensent-ils que c'est maintenant celui de l'Amérique du Sud ? Devons-nous cultiver notre misère pour qu'ils conservent leur niveau de vie toujours élevé ? Ce n'est pas à nous de nous sacrifier, mais à eux qui ont déclenché et encouragé sur toute la Terre la dégradation écologique qu'ils prétendent réparer.

Vive notre devise: Ordre et Progrès. »
João Nelson Barreiros, Président du Brésil.
(Déclaration télévisée de Brasilia), 5 mai 2084.


F I N ?



© Jean-Pierre LAIGLE, 2010





haut de page
retour au sommaire