2004

JEREMIE ET MATTOUNE



Je ne sais pas comment j'avais fait, je m'étais enfin libéré. J'avais réussi à grimper vers cette petite, idiote, mais si précieuse lucarne, qui me narguait de haut, dans son coin. J'avais glissé et atterri dans un local, plein de gravats. J'avais perdu la notion du temps ; si bien que j'ignorais depuis quand j'étais enfermé dans ce cachot souterrain. Le seul repère, le seul signe de vie en dehors des geôliers qui venaient me ravitailler - j'en prenais alors plein les yeux, avec leurs torches - c'était la lumière qui s'allumait périodiquement de l'autre côté. Elle passait avec parcimonie, à travers le verre opaque de cette lucarne. J'avais beau crier, personne ne m'entendait. Sinon le reste du temps, l'obscurité totale m'engloutissait, et j'étais saucissonné, les mains dans le dos, comme un vulgaire rôti, prêt à l'enfournage ! Vraiment, je ne sais pas comment j'avais fait pour me dégager et déployer ainsi ma carcasse endolorie ; en tout cas, je ne voudrais pas revenir sur les efforts que j'avais fournis ; la chair de mes poignets en était à vif. Oui ! ... J'aimerai comprendre, ce que je foutais là, moi, Jérémie ? …

Sans chaussures, je m'approchai avec précaution d'une baie qui surplombait des rangées de voitures, dans la pénombre. La porte du local était fermée à clef, bien entendu, et je n'avais pas envie de perdre mon temps à la forcer ; d'ailleurs avec quoi ? Je n'avais pour outil, à ma disposition, que des cailloux ! Je lorgnai sur l'arrière d'un pick-up bâché, juste en dessous : bon réceptacle pour l'autre saut que je méditais. Je me mis à taper sur la vitre, j'y allais de bon cœur, une avalanche de bris dégringola sur les carrosseries, faisant un boucan d'enfer ; puis je sautai sur la cible de mon choix. Défonçant le tissu épais, je tutoyai un montant au passage. Le souffle coupé, fou de rage et de douleur, je mis un moment pour m'extraire du fond de caisse. Comme mes pieds roulaient sur des objets épars, je m'emparai de ce qui ressemblait à une barre à mine. C'était au moins un petit quelque chose à opposer à mes agents de malheur ! Puis je me dirigeai vers une issue de secours, signalée par un néon. Elle n'était pas loin, à vingt mètres du pick-up. Je n'avais plus qu'une idée en tête : quitter ces « catacombes » et rejoindre l'air libre au plus vite.

En ouvrant la porte, je fus assailli par une odeur âcre ; elle donnait sur un sas qui devait servir d'urinoir occasionnel. Je le traversai d'un bond et tombai sur un hall. Je repris mon souffle. L'endroit était désert, mais je venais d'accéder à une vaste galerie marchande. Quelques veilleuses dispensaient une lueur diffuse, et, les grilles ou les rideaux métalliques étaient descendus devant les devantures. A l'instar d'un maraudeur, j'avançai avec circonspection, tous mes sens en alerte. « Mais bon Dieu ! Qu'est-ce que je foutais là ! » : je me demandais encore ! Au moins, je savais que j'étais dans des heures de fermeture et probablement nocturnes. Je m'avisai soudain de la présence de caméras, discrètement installées dans les coins ; je m'interrogeai alors : à quoi bon se dissimuler ? Je n'avais rien à me reprocher ; c'était plutôt le contraire : j'aurais cherché du secours ! … Rien ne se produisit, aucun son ne brisa le silence que l'imperceptible frôlement de mes chaussettes sur le dallage. Après quelques vains allers et retours, j'empruntai un passage qui menait devant une grande porte à deux battants, dont les gigantesques poussoirs étaient liés par une chaîne. Je me mis en devoir de faire sauter le cadenas, avec ma barre, et j'y réussis presque du premier coup. Après je fus à l'air libre, au bord de la chaussée, en pleine ville. Il faisait nuit et je distinguais à peine le halo des réverbères, autour de moi. Nous étions dans un cocon de brouillard, et, il ne semblait pas y avoir un chat dans la rue…

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Je rigolais bien, en voyant ce « gros cuissot » détaler devant moi. Il excitait mon appétit. Je le poursuivais depuis un moment, quelques secondes en vérité ! Je m'appelais Mattoune, lion, roi, évadé de mon cirque ; enfin, celui à qui, on m'avait vendu ! On, c'était quelques-uns de ces cons d'hommes, dont un spécimen fuyait devant ma gueule, à ce moment précis. J'allais encore me venger, je le croquerai, sans sel, cru et saignant à point. Il était malingre, mais je lui trouverai bien quelque chose sur les os, et je rigolais, oui ! Enfin un qui essayait de se sauver ! Parce que les autres, ils avaient juste attendu que je leur fasse leur affaire, en criant et levant les bras au ciel, incapables d'opposer la moindre résistance. Ah ! Ils avaient eu beau jeu de se trémousser et de se moquer, quand j'étais derrière les barreaux, ces espèces de minables qui puaient le cosmétique ! Je leur en voulais de m'avoir transformé en esclave et faire-valoir pour leur divertissement ; et puis ; ils m'avaient ridiculisé, en me faisant crever de faim. Cette nuit était la mienne, et j'escomptai bien qu'elle ne fut pas la dernière. J'avais déjà dépecé trois de ces minables : un vieux flétri (rien que des entrailles !) et puis un enfant de trente kilos maxi (avec ses oripeaux !) enfin une femme adulte, (un peu trop enveloppée !)… Mais quand même, je m'étais bien régalé, mieux qu'avec la tête de mon dompteur, qui avait été bien vide, et qui ne m'avait pas rempli la panse plus qu'une de ces boulettes, qu'il me jetait de temps en temps.

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