SEMA ALEVITE DE TURHAL



Yakup YURT   :   http://yakup.yurt.sitemynet.com/guzin/index.htm



Je ne suis ni savant ni érudit, mes chers! Je ne suis qu'un individu essayant de partager par écrit et honnêtement exclusivement ce qu'il voit et ce qu'il ressent. Je ne suis l'homme de personne, mais un mortel décidé à devenir un homme comme il faut jusqu'à son dernier souffle. Je me sens en toute modestie comme un voilier qui avance au gré de la force du vent, tant bien que mal, en direction de l'acquisition et de la propagation du savoir.
Il importe de savoir la localisation de Turhal. La petite ville de Turhal est entourée par la province d'Amasya et la sous-préfecture d'Erbaa au nord, la sous-préfecture de Pazar au sud, la sous-préfecture de Zile à l'ouest et la province de Tokat à l'est. Elle est à 46 km. de Tokat. Turhal est la plus grande sous-préfecture dépendant de Tokat. Le fleuve Yesilirmak (le fleuve vert) traverse le centre-ville. C'est une sous-préfecture cosmopolite qui a reçu un grand flux migratoire grâce à sa fameuse raffinerie de sucre.
"Bonjour mes cœurs! Oh Allah, oh Mahomet, oh Ali. Nous vous rendrons à vous-mêmes, nous vous rendrons à votre essence propre. Venez sur l'arène de la justice. Sans quoi, dites adieu dès maintenant!"
L'instruction est claire et nette. L'obéissance est cordiale. Sans pression, tout se fait en douceur. Dans ce cas, on continue. Avançons vers l'essence de la vérité!..
A gauche, le drapeau turc. Au milieu, un grand-père barbe blanche (dédé) et des oiseaux de paix survolant des danseurs en état de danse de piété. Un livre vert se trouve sur le genou du dédé et le soleil de l'abondance réchauffant les cœurs brille sur sa tête. A droite, un portrait de M.K.Atatürk qui dit "je vous observe". A gauche de la scène, quatre personnes alignées dame-sieur-dame-sieur. A gauche de ces personnes, trois bougies symbolisant trois lumières éternelles : Allah, Mahomet, Ali. Au milieu de la scène, trois personnes avec leur saz (instrument de musique), à commencer par le dédé en costume cravate, dirigeant le djème (rituel alévite), suivi d'une dame et d'un sieur. Ensuite, encore cinq personne alignées à droite de la scène, toujours dame-sieur-dame-sieur-dame. Douze personnes en tout. Comme les douze imams. Au milieu se trouve un kilim, placé collectivement. Toutes ces personnes s'assoient sur leurs genoux. Ce n'est qu'avec l'autorisation qu'elles peuvent se mettre à l'aise. Les visages ne sourient pas. Un petit drapeau turc arbore leur poitrine.
Dans leurs habits sublimes brodés à la main, chacune des dames ressemble à une fleur. Elles portent un voile en tissu blanc brodé qui laisse voir leurs cheveux légèrement sur leur front. Les hommes portent des casquettes couleur noire et des pantalons avec une ligne rouge sur les côtés. Les houppettes des tissus enroulés autour de leur taille pendent devant. La langue parlée est du turc pur, cristalline comme l'Anatolie.
Dans sa prière, le dédé grommelle "qu'Il (Dieu) ne mette pas fin à la pluie du ciel et à l'abondance de la terre". Que l'on soit croyant ou non, que peut-on dire d'autre qu'amen… face à une telle prière? On dirait que nous assistons à un rituel de philosophie théologique et de pratique religieuse appliquée, accompagnés de musique. Les paroles chantées ne restent pas dans l'air, elles sont concrétisées l'une après l'autre. Avec abnégation, sérieux et gentillesse. Le respect à la Femme est à l'avant-plan.
Où sommes-nous? Au foyer des cœurs. Ceux qui se trouvent ici sont à la fois porteurs d'eau que sommeliers. Ils portent et ils distribuent l'eau. Qu'ils soient chéris comme l'eau…
La deuxième partie s'ouvre avec les paroles des trois chansons populaires : Aujourd'hui soyez les bienvenus chez nous-Adieu mon maître adieu-On est bien partis des contrées lointaines. Les mélodies se sont condensées dans les cerveaux, ou dans les cœurs. Dédé a donné ce message plein de sagesse : "Mes cœurs, ne soyez pas tristes, levez vos têtes, Allah vous a doté de langue, d'oreilles et d'yeux. Servez-vous en comme il faut. Mais ne négligez pas de les maîtriser".
La danse frénétique a commencé. Chaque dame tournoie en tournant autour d'elle-même et chaque sieur fait de même en agitant bras et mains à gauche-à droite. Dans une grande harmonie. Sans contact. Les corps sont fatigués, les visages tendus. Visiblement ils ne parviennent pas à effacer les douleurs du passé de leur mémoire. Ils ne parviennent pas à rire comme ils le méritent.
"Le dessein est de retourner aux sources./Ne vous contentez pas des cinq prières./L'Amour est notre religion./Ne croyez pas à d'autre religion." Finalement les sentiments sont montés, on dirait que Yesilirmak a débordé, les spectateurs du sema étaient perplexes. Les applaudissements bien mérités étaient là. Ils sont venus comme des fleurs, ils ont parsemé sur nos cœurs le beau parfum des plateaux anatoliens et ils se sont envolés comme des papillons.


Et si l'on laissait au maître Haci Bektas-i Veli le dernier mot ?

La chaleur est dans la grenadine et non dans le cheveu
La raison est dans le cerveau et non dans la couronne
Cherche l'objet de ta recherche en toi quel qu'il soit
Car il n'est ni à la Mecque, ni à Jérusalem ni au pèlerinage


Yakup YURT
Bruxelles, le 11/12/2004
Traduit du turc le 14/12/2004