Du 30 novembre 1989


Le débarquement  (part II)


J'ai encore trois mots à raconter bizarre
Aux trompettes mal embouchées qui raisonnent
Aux ablettes engluées au plein corps du coaltar
Trois mots rien que pour le pavé qui sonne

D'un pied étroit mais lourd, le bronze anthropophage
Foulait maintenant un rivage de sable mou
Des talitres flambeurs aux mouettes dans le cirage
L 'épiait un autre monde sans dessus, sans dessous
L'humain cuirassé qui venait de la Mer profonde
Ne savait rien moins que son voyage commençait
Pourtant du benthos à la surface des ondes
La rage du mouvement n'avait guère cessé

Cette lourde carapace qui l'enfonçait
Après l'avoir protégé, était d'un autre âge
Et il suait dans ce milieu sans densité
Surpris de ne plus peser contre un étau sauvage

A ses yeux montant vers les dunes souveraines
S'offrait l'étrange vision d'une interminable caravane
D'où céans, bêtes et hommes à la même chaîne
S'échappaient les plus lamentables cris d'âne

…/…

Du 5 décembre 1989

Le débarquement  (part III)

Ne tient pas lieu d'une surface de voile, de faire le mât
Non plus que le choix du mât évite la place aux avirons
Le bon navigateur au demeurant ici bas
Est l'homme qui ne prendra pas ses désirs pour un horizon

Fixant la couronne de ces collines de sable
L'homme-machine s'acharna aux mouvements de ses rotules
Pour lieu et pour l'heure ils seront inconnaissables
Et la fumée lui tiendra de crépuscule

Sarah ne connaissait rien de la Mer et de ses hommes
A ce pion luisant qui bruissait comme une libellule
Elle donna une histoire et un décorum
Une écharpe qui pend dans le vent incrédule

La petite vigie du haut de sa bohême n'a pas compris
Que le Monde compliqué est sans répit
Que l'histoire de l'autre est la sienne qui sourit
Qu'elle voudrait autre par le sang froid du dépit


© Jean-Jacques Rey, 1989